Les grands axes routiers constituent des ruptures de corridors écologiques majeures et des freins pour le déplacement de la faune notamment dans un environnement déjà très anthropisé. L’implantation de passages faune au-dessus des grandes voies routières permet de restaurer partiellement le continuum écologique.

Entre 2020 et 2023, Teréo a mené un suivi écologique à l’aide de pièges photographiques sur un ouvrage expérimental construit par AREA offrant un passage au-dessus de l’A43 dans le secteur de La Buisse (38). Ce suivi était intégré à un suivi plus large, incluant un suivi de la végétation sur les différents revêtements, un suivi « amphibiens » et un suivi « reptiles ». Ce passage à faune sauvage a une vocation régionale. Son objectif à petite échelle est de faciliter les déplacements de la faune sauvage entre les massifs de la Chartreuse (au nord-est) et du Vercors (au sud-ouest). Cet ouvrage vise également à assurer le brassage génétique et la conquête de nouveaux territoires pour un maximum d’espèces.

Caractère expérimental de l’ouvrage

AREA a fait le choix de mener une expérimentation dans la structuration du tablier surplombant la voie autoroutière. L’expérimentation a porté sur l’allègement des revêtements de sols servant de supports pour la végétalisation de l’ouvrage. Les solutions testées permettraient d’alléger la structure des tabliers en diminuant les charges fixes. De futurs écoponts pourraient alors être construits avec des coûts optimisés. Ainsi, quatre types de revêtements ont été mis en place lors de la construction de l’ouvrage pour alléger le tablier de l’écopont. Le suivi, souhaité par AREA et confié à Teréo, avait pour but de tester la durabilité des revêtements, la tenue de la végétation (faible réserves en eau) et d’identifier le ou les revêtements les plus utilisés par la grande faune et d’en déduire les plus pertinents dans l’élaboration d’un passage faune :

  • Une bande avec du sol allégé renforcé avec une structure en PEHD (PolyEthylène Haute Densité) ;
  • Une bande avec du sol allégé renforcé avec une structure en bois ;
  • Une bande avec du sol allégé sans renforcement ;
  • Une bande en toiture végétalisée.

A noter également la présence d’un double andain central composé de briques creuses et de branchages au centre du tablier pour favoriser le déplacement de la petite faune.

Un travail minutieux d’analyse des données

Entre 2020 et 2023, entre neuf et dix pièges photographiques ont été installés sur des durées d’un à deux mois, à quatre périodes dans l’année pour couvrir toutes les saisons. Cinq à six pièges photographiques, déclenchés par le mouvement, prenaient des photos ou des vidéos sur le tablier du pont et quatre sur les accès au pont.

Sur la période de suivi, 516 jours de pose des appareils ont été réalisés pour récolter 6 733 photos ou vidéos de mammifères (exploitables !). Un travail énorme a été nécessaire pour trier les clichés et séparer les prises de vue dues au vent sur la végétation proche des appareils. Après un tri manuel en début de suivi, l’utilisation d’un logiciel spécifique au tri d’images de pièges photographiques a permis d’accélérer et faciliter l’exploitation des données.

Après épluchage des données récoltées, douze espèces de mammifères ont été vues au moins une fois sur l’écopont de La Buisse entre 2020 et 2023. Rongeurs, prédateurs, herbivores se sont côtoyés sur le passage faune dans la joie et la bonne humeur. Certaines espèces ont rapidement intégré l’intérêt de cet ouvrage et ont très souvent posé devant les appareils photos : chevreuil européen, renard roux, blaireau… D’autres ont été plus hésitantes : le sanglier a été observé pour la première fois aux abords du pont en 2022 et de façon plus régulière en 2023. Les petits mustélidés affectionnaient les andains disposés sur les revêtements du tablier tout comme les micro-mammifères : on a pu y détecter la martre des pins, l’hermine, la belette, le lérot, le rat surmulot…

Lors de l’analyse des clichés de l’année 2023, une belle surprise est venue compléter tout ce beau monde : un loup gris a traversé l’écopont plusieurs fois en deux jours. Cette observation peut indiquer un passage local entre les massifs montagneux du Vercors et de Chartreuse.

Attractivité des revêtements

L’expérimentation de l’écopont de La Buisse était centrée sur l’utilisation de revêtements nouveaux pour alléger ce type d’ouvrages en poids et en termes de coûts. Pour rappel, le but de ce suivi était notamment de déterminer si un des quatre revêtements testés est utilisé préférentiellement par la faune pour traverser le passage faune.

D’un point de vue fréquentation, trois revêtements ont vu passer neuf des douze espèces : le revêtement allégé non renforcé, le revêtement allégé renforcé avec une structure bois et le revêtement allégé renforcé en PEHD. Le revêtement toiture végétalisée a été utilisé par sept des 12 espèces. Les andains légers centraux sont empruntés par huit espèces, principalement par la petite faune.

En revanche, en regardant le nombre de données par revêtement, trois sont assez proches en termes de fréquentation : la toiture végétalisée représente 27% des données, le revêtement allégé non renforcé 25% et le revêtement allégé renforcé avec structure en bois 24%. On notera que le revêtement allégé renforcé en PEHD semble légèrement moins fréquenté avec 20% des données (4% des données ont été affectées aux andains). Les différences semblent non significatives mais ne peuvent être testées : avec les nombreux biais existants (impact de la végétation variable selon le revêtement, suivi non continu, effet « nouvel ouvrage », contrainte de l’andain central…), il n’est actuellement pas possible de dégager une préférence pour l’un ou l’autre revêtement. Les revêtements semblent être utilisés indifféremment par les espèces.

Il est encore possible d’approfondir les connaissances !

Le choix du revêtement préférentiel ne semble pas significatif et il serait intéressant de poursuivre le suivi. De plus, l’ouvrage est encore récent et certaines espèces peut-être un peu éloignées ou localement rares ne sont éventuellement pas encore arrivées à proximité de l’écopont (cerf élaphe, chamois …).

Un suivi continu par pièges photographiques sur une année pourrait permettre, par exemple, de compléter les connaissances sur la fréquentation de l’ouvrage. Il serait également possible de mener des investigations sur les cours d’eau et plans d’eau proches pour détecter d’éventuelles espèces amphibies (putois, rat musqué, castor…) qui n’ont pas pu être observées lors des différentes années de suivi…de belles surprises restent possibles !

Fabrice CHEVREUX