La biodiversité invertébrée des zones de haute altitude est très largement méconnue du fait de leur difficile accès (marche d’approche et courte période d’échantillonnage). Ces zones abritent pourtant une biodiversité exceptionnelle caractérisée par un degré d’endémisme important et située en première ligne face à la menace du réchauffement climatique.
Le dernier rapport du GIEC (28/02/2022) alerte sur les conséquences du changement climatique en zone de montagne, les zones d’altitudes élevées se réchauffent plus vite que les zones de basses altitudes. A cela s’ajoute des modifications dans le calendrier des précipitations et une diminution de l’enneigement. La remontée de l’isotherme 0°C (ligne minimale où la température de l’atmosphère atteint 0°C) favorise la diminution du couvert neigeux. Associée à des périodes de fortes températures en altitude, l’absence de couverture neigeuse rend plus vulnérables les glaciers. Ces phénomènes imbriqués accroissent leur fonte. En moyenne, les glaciers alpins perdent 1 m de hauteur chaque année. Le recul des glaciers est une caractéristique irréversible du climat d’aujourd’hui.
La faune invertébrée à stade larvaire aquatique se développe par cycles vitaux qui requièrent des seuils de températures propres à chaque espèce. Dans les torrents de hautes altitudes, les assemblages d’invertébrés changent rapidement, sur quelques dizaines à quelques centaines de mètres linéaires. Une augmentation de la température des écoulements qui abritent cette faune favorise des modifications dans le déroulement des stades de développement vitaux : émergence, reproduction… Or, les changements des conditions abiotiques ne concernent pas que la température, mais aussi la saisonnalité des évènements hydrologiques. Ces facteurs combinés peuvent profondément altérer la réalisation des cycles vitaux de ces espèces fragiles en raison de leur adaptation poussée à ces milieux très sélectifs.
La hausse des températures et les modifications hydrologiques des biotopes ne sont pas les seuls fléaux qui menace directement la faune invertébrée de ces milieux particuliers. Les espèces adaptées aux conditions des étages alpins inférieurs « remontent » à la recherche de niches biogéoclimatiques similaires aux niches qu’elles occupent. Cette « migration altitudinale » des espèces accroit une compétition dans l’accès aux ressources qui se traduit par la raréfaction des espèces les plus sensibles.
Cowie et al. (2022)[1] , dans leur article qui réévalue le phénomène de disparition des espèces à l’échelle mondiale en se fondant notamment sur la faune invertébrée, concluent, entre autres, sur l’urgence de réaliser de l’archéologie préventive : récolter, décrire, nommer les espèces méconnues ou inconnues, comprendre leur répartition géographique et altitudinale, les milieux qu’elles occupent, avant leur disparition.
Teréo Alpes du sud se veut un bureau d’études impliqué dans la connaissance de la biodiversité en générale, alpine en particulier, parce que les Alpes sont notre jardin, et que nous les voyons changer au rythme effréné du dérèglement climatique. Nous nous sommes associés à des taxonomistes de renommée internationale pour mieux caractériser la faune invertébrée des zones de moyenne et haute montagne. Nous participons aux inventaires nationaux pour mieux connaître les aires de répartition des espèces de plécoptères, éphéméroptères, trichoptères… Nous envoyons régulièrement certains des taxons récoltés (voir Makarchenko et al, 2022 [2]) à des universitaires spécialistes de certains groupes. Enfin, nous essayons de participer à l’amélioration de la connaissance de la biodiversité par la description d’espèces nouvelles pour la science. Cela s’est traduit récemment par la description entre autres, de Smittia balmea sp. n., capturée et identifiée dans le massif des Aiguilles-Rouges (Moubayed & Clévenot, 2022 ), lors d’une étude réalisée pour le compte du CEN de Haute Savoie (Programme All Taxa Biodiversity Inventory) mais aussi par la participation à la description d’Orthocladius (O.) queyrassianus sp. n. présentée au 21ème Symposium International sur les Chironomidae (Moubayed et al.[3]), une espèce capturée près de sources pétrifiantes, dans le massif du Queyras (Hautes-Alpes).
Notre démarche scientifique est notamment appréciée par les acteurs de la préservation de la biodiversité. Les Parcs Nationaux, les sites Natura 2000 portent une grande responsabilité sur l’amélioration des connaissances sur la biodiversité. Ils sont situés sur des vastes espaces préservés, à l’intérieur desquels toute une mosaïque d’habitats d’intérêt communautaire abrite une biodiversité exceptionnelle. Et dans ces zones, toute une part de la biodiversité reste mal connue. Nous travaillons en bonne synergie avec bon nombre de site N2000 pour participer à l’amélioration de la connaissance scientifique, pour découvrir de nouvelles espèces pour la faune de France et des nouvelles espèces pour la science.
Références bibliographiques
[1] Cowie, R.H., Bouchet, P. and Fontaine, B. (2022). The Sixth Mass Extinction : fact, fiction or speculation ?. Biol Rev. https://doi.org/10.1111/brv.12816 [2] Makarchenko, E. A., Semenchenko, A. A., & Palatov, D. M. (2022). Taxonomy of Diamesa steinboecki group (Diptera: Chironomidae: Diamesinae), with description and DNA barcoding of new species. I. Subgroups steinboecki and longipes. Zootaxa, 5125(5), 483-512. DOI: 10.11646/zootaxa.5125.5.2 [3] Moubayed, J., Clévenot, P. (2022). Smittia balmea, S. corsicana and S. tyrrhena, spp. n. three new semiterrestrial species from continental France and Corsica [Diptera, Chironomidae, Orthocladiinae]. Ephemera, Vol. 23 (1) : 29-42